primer : le Canada, en un mot, veut avoir une littérature à l’image de son sol et de son âme.
Eh bien, il faut l’avouer, malgré les réussites partielles d’un Fréchette, d’un Chapmann, d’un Gérin-Lajoie, d’un Jules Tremblay et de quelques autres, cette littérature, il ne l’avait pas. Non, jusqu’à Maria Chapdelaine, il n’y avait pas un livre, vers ou prose, vraiment, pleinement, uniquement canadien, un livre dont on pût dire ce qu’on dit de tel livre de Kipling ou de Jack London, qu’il est le livre de la Jungle ou le livre de l’Alaska. Et que cette injustice de la destinée ait tout à coup pris fin, que le Canada possède depuis 1916 le livre qui l’exprime, c’est déjà un fait assez considérable par lui-même et qui ne pouvait nous laisser indifférents. Mais ce qui doit nous toucher bien davantage — et nous confondre un peu aussi — c’est que ce livre soit l’œuvre, non d’un Canadien de race, mais d’un écrivain de chez nous, mort tragiquement presque aussitôt après l’avoir écrit : Louis Hémon.
Ce Louis Hémon — qui portait un nom cher à tous les Bretons et même à pas mal de Français — était le fils de Félix Hémon, l’Inspecteur général de l’Université qui a publié sur Bersot, sur les Races vivaces, des pages concises, pleines et fortes, et le neveu de Louis Hémon, député du Finistère et l’une des voix les plus éloquentes du Parlement. Deux autres de ses oncles avaient marqué dans les lettres, l’un surtout, Prosper, par ses travaux sur la chouannerie bretonne qui font autorité en la matière. À Quimper, dès le collège, où ils enlevaient tous les prix, on avait plaisamment baptisé ces quasi-homonymes des populaires héros d’Huon de Villeneuve : les quatre fils Hémon. Un frère même du futur auteur de Maria Chapdelaine, prénommé Félix comme