lui envoya un jour un de ses recueils avec cette dédicace : Au dernier des bardes, l’avant-dernier. Je doute que Quellien ait senti l’ironie du trait. Comme il se croyait le dernier des bardes, il croyait aussi qu’il était le dernier homme à savoir le breton. Il avait fait partager cette conviction aux Parisiens. Il provoquait sur le boulevard le même sentiment d’admiration badaude que ce perroquet centenaire retrouvé par Humboldt et qui était le dernier être vivant qui connut encore quelques mots de la langue des Apures. Et il est vrai du moins que le savant Arbois de Jubainville, quand il avait un texte armoricain à commenter devant ses auditeurs du Collège de France, l’empruntait toujours aux recueils de Quellien.
Car, beaucoup plus justement que le dernier des bardes, il aurait pu s’appeler le premier des bardes ou, comme nous disons aujourd’hui et ce qui revient d’ailleurs au même, le prince des bardes bretons. La Bretagne de langue bretonnante eut en lui son Tibulle et son Properce. Elégiaque, il le reste jusque dans cette Messe Blanche [Ann ofern wenn) qu’une page de Renan — une des plus belles pages des Souvenirs d’enfance — a rendue célèbre et qui aurait dû lui fermer à jamais le cœur de son maître, si ce cœur n’avait été un abîme de contradictions. Je me suis toujours demandé comment Quellien avait osé, non pas écrire la Messe Blanche, mais la présenter à l’auteur de la Vie de Jésus : c’était, sous une forme populaire et dans un mythe de la plus grande beauté, la réprobation et la condamnation la plus nette des doctrines de Renan et de ce qu’on ap-