Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sif de continuer à lui faire grief d’une liberté que tout le monde s’arroge aujourd’hui.

Car c’est à quoi se réduit son prétendu manque de métier. Les quelques élisions qu’on rencontre dans son œuvre (sans voir s’elle était blonde), les suppressions de pronoms (vais m’en aller, fut quelqu’un ou quelque chose), même les accrocs à la règle de l’alternance des rimes ne peuvent décemment lui être imputés pour des négligences et sont parfaitement prémédités. Corbière rompait là, délibérément, avec la prosodie romantique pour en adopter une autre, plus proche de sa nature, plus répondante à ses secrets instincts, et qui était la prosodie même des chansons populaires. Il est tout imprégné de cette poésie primitive, rondes, berceuses et complaintes, qui, à chaque instant, comme une bulle légère, remonte à la surface de son inspiration. Et cela encore, en 1873, était une nouveauté. Et c’en était peut-être une autre, malgré la Bonne chanson, que l’étrangeté et le trouble de l’émotion sensuelle, traduits en des rythmes d’une si extraordinaire fluidité :

Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !
Il n’est plus de nuits ; il n’est plus de jours.
Dors, en attendant venir toutes celles
Qui disaient : Jamais ! qui disaient : toujours !…

Buona vespre ! Dors. Ton bout de cierge,
On l’a posé là, puis on est parti.
Tu n’auras pas peur seul, pauvre petit ?
C’est le chandelier de ton lit d’auberge…

Poésie de clair-obscur, chuchotée plus que chantée, si musicale cependant, pleine de lointaines résonnances, de prolongements mystérieux, expression d’un état d’âme inconnu de la génération parnassienne et qui allait devenir celui de la génération de 1884. Elle ne durait pas ; ce n’était qu’une rose