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I.


Sept ans devaient s’écouler avant qu’un éditeur se rendît à la sommation du « pauvre Lélian ». La gloire de Corbière, en 1891, avait pourtant commencé d’émerger à la lumière des vivants, mais ce n’était encore qu’une gloire de cénacle. Le public et l’Académie l’ignoraient. Catulle Mendès, l’éternel pasticheur dont Corbière dérangeait les ambitions rétrospectives et qui travaillait à se donner pour un précurseur du symbolisme, lui contestait — ainsi qu’à Rimbaud d’ailleurs — toute influence sur la nouvelle génération poétique et l’appelait un « Pierre Dupont bassement transposé, vilainement parodié ». Mais Jules Laforgue, Gustave Geffroy, Léon Bloy, Charles Morice, Jean Ajalbert, d’autres que j’oublie, se rangeaient à l’opinion de Verlaine et parlaient de Corbière avec la plus sincère admiration.

Sans doute ils n’acceptaient pas tout du poète ; ils faisaient certaines réserves sur sa syntaxe vacillante le dégingandement de sa prosodie, l’outrance de son dandysme baudelairien. « Pas de métier », disait Laforgue. Et le des Esseintes de Huysmans s’exprimait plus librement encore sur ces Amours jaunes « où le cocasse se mêlait à une énergie désordonnée » où des vers déconcertants éclataient dans des poèmes d’une parfaite obscurité… L’auteur parlait nègre… affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis voyageur ; puis, tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aiguë, comme une corde de violoncelle qui se brise… »