René ! Si Guérin arriva en romantique au Val de l’Arguenon, il y laissa sa défroque et en partit un autre homme. C’est à quoi l’on n’a pas assez pris garde. La mer bretonne fut pour lui une éducatrice latine. Il l’aima, non pour ses colères et son écume, pour sa stérilité et sa tristesse comme René, mais pour sa majesté, sa fécondité, son eurythmie, la puissance d’organisation qu’il devinait en elle. Il ne se frappa point la poitrine devant elle, comme un Michelet sur la falaise du Raz ; il n’essaya pas de mesurer sa petitesse à son infini, comme un Hugo sur le rocher de Guernesey. Et, à vrai dire, ces idées de néant, d’infini, propres aux races occidentales, lui sont totalement étrangères. Loin qu’il éprouve devant la mer cette oppression, cette détresse, sous lesquelles nous les voyons qui ploient, il s’exalte, il se dilate, il aspire à se fondre en elle ; le « divin » océan, c’est aussi pour lui le « bon » océan, la force mâle, ordonnée, créatrice, source de toute énergie, le sang riche et harmonieux qui bat dans les artères du monde. Son flux et son reflux de six heures, cette montée et cette descente régulières du flot, quelle image mieux faite pour évoquer la respiration du grand être universel !…
Mais il faut ajouter que, nulle part mieux que sur les rives de l’Arguenon, Guérin n’aurait pu saisir le rythme de cette respiration. La mer bretonne, qui gonfle et abaisse deux fois le jour son sein, découvre ici, dans ses retraits, d’immenses étendues sablonneuses et recule jusqu’aux limites de l’horizon : ses retours n’en sont pas dérangés et rien n’égale la vigueur et l’élan dont, aux marées d’équinoxe, son jet puissant pénètre jusqu’au cœur du pays. M. Lefranc note avec raison l’équilibre surprenant qui s’établit pour la première fois dans l’âme tourmentée de