et vaines, res nullius, dédaignées des riverains et qu’on abandonne au premier occupant. Tant de chaumes, de huttes en Bretagne, qui figurent aujourd’hui au cadastre, à la faveur de la prescription trentenaire, ont été bâtis de la sorte sur des bordures de route ou sur des garennes abandonnées !
Yann ar-Gwenn ne s’en montrait pas moins très fier d’avoir une maison à lui, bâtie de ses deniers, si le terrain ne lui avait coûté que la peine de le prendre, et Brizeux avait parfaitement raison de lui faire dire :
Comme cet ancien barde, harmonieux maçon.
Chanteur, avec mes chants, j’ai construit ma maison.
J’ajouterai que cet aveugle, dans le choix du site où il voulut fixer ses pénates, s’était montré singulièrement plus perspicace que bien des clairvoyants.
Le paysage qu’on embrasse de Crec’h-Suliet est l’un des plus beaux de cette rivière de Tréguier qui en contient tant d’admirables. Le Jaudy, à marée haute, y mesure bien un kilomètre de large, et des navires de 600 tonnes le remontent sans effort. Et, par delà le fleuve, toute la campagne de Trédarzec, avec la courbe harmonieuse de ses collines, le damier de sa culture, ses landes, ses bois, ses clochers qui percent le feuillage, se déploie devant le promeneur. En face même de Crec’h-Suliet, un minuscule affluent du Jaudy, dont je ne sais pas le nom, s’est creusé le plus charmant des lits : il y coule sous d’antiques verdures qui s’écartent à son embouchure pour faire place à un petit estuaire où le flot marin, retenu par une digue-chaussée — le carpont — est conduit dans les vannes, jadis seigneuriales, d’un ravissant moulin de la Renaissance.