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ternel dans ce détail : songez que je les ai tous plantés et que je les ai vus, comme disait M. de Montbazon, pas plus grands que cela.

Mais ce sont mes bois surtout qu’il me tardait de revoir : je les ai trouvés d’une beauté et d’une tristesse extraordinaires ; je suis restée une grande heure dans cette allée de l’Infini, toute désignée sans doute pour la promenade d’un esprit, et j’y serais peut-être encore sans l’affreux hourvari, qui m’en chassa. Parmi les clameurs et les sifflements, je distinguai des injures, dont la plus douce et la plus familière était « vieille bavarde » et auxquelles mon nom était mêlé. « Sus ! Sus ! Enlevez-la ! », criait-on. Ah ! ma fille, bien m’en a pris d’être morte, car je l’aurais été de frayeur incontinent. Ne m’avait-il point poussé en tête que c’était quelque nouveau tour de ces démons de Bonnets-Bleus qui me firent tant peur autrefois et dont un parti s’en vint piller et brûler jusqu’à Fougères, qui est un peu trop près des Rochers ? Il ne fallait qu’une seconde de réflexion pour me montrer l’absurdité de ce roman. Mais déjà je volais vers le château : j’y entrai comme le vent, et le silence, la tranquillité des lieux commencèrent de me rassurer. Tout y était dans l’ordre le plus parfait et M. Boissier n’a rien exagéré. Je ne me lasserai point de vous le dire, ma chère enfant, c’est une chose admirable que cette piété des Nétumières[1] pour ma mémoire, au point de ne pas souffrir qu’on emprunte mon cabinet ni ma chambre, d’y avoir descendu votre lit pour remplacer le mien qui fût brûlé en 1793 par les tumultuai-

  1. Le comte et la comtesse Hay des Nétumières, dans la famille de qui les Rochers sont passés en 1714 par reprise de dot (Note de l’édit.).