Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec Catherine de Médicis, la plus riche de toutes les reines de France ? — tantôt elle abdique tout luxe, se présente aux contemporains dans « un costume noir tout uni, coiffée d’une cape de son pays également noire, par dessus une coiffe blanche ». Ne dirait-on point une Léonarde ou l’une de ces îloises de l’antique Enez-Sûn qui sont vêtues d’un deuil éternel ? Elle semble, comme elles, même du vivant de ses maris, une âme en veuvage. Et ce n’était plus là sans doute Anne de France, mais c’était à coup sûr Anne de Bretagne — la première reine qui ait porté le deuil en noir !

On a dit qu’elle était jalouse, ce qui ferait supposer qu’elle aima ses maris. De fait elle eut du premier quatre enfants, dont ce délicieux et mélancolique petit dauphin Charles Orland, qu’elle fit peindre pour Charles VIII et que nous révéla une récente exposition de Primitifs. Tous quatre moururent en bas âge. Elle donna encore deux filles à son second mari : Claude et Renée de France, et ces deux-là vécurent. Après quoi il serait difficile de prétendre qu’Anne de Bretagne s’est soustraite aux charges de la maternité. Mais il n’est pas défendu d’admettre que les sens avaient peu de part dans son affection pour Charles VIII, sinon pour Louis XII, à l’égard de qui l’accord semble avoir été plus facile chez elle entre son cœur et la raison d’État. Louis XII, qui, de son côté, paraît l’avoir sincèrement aimée, qui, « en ses gayetés », l’appelait « sa Bretonne », fut tout un temps très affecté de sa perte. Il ne faudrait pas faire évidemment d’Anne de Bretagne une victime de la nostalgie : c’est une crise de gravelle qui l’a emportée et non le mal du pays. Et cependant, sur toute cette vie si pleine, si unie, vouée au devoir politique ou conjugal, ne sent-on point peser à cer-