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yawl en Bretagne ? Il semble qu’il ait épuisé en une fois sa capacité d’émotion. Du moins ne sais-je plus aucune ligne de lui sur notre pays. Peut-être redoutait-il obscurément sa séduction ; ses nerfs avaient été trop fortement secoués par sa première prise de contact avec la Bretagne. Maupassant n’était déjà plus à cette époque l’homme que nous a peint un de ses biographes, « le garçon le plus franchement gai, le moins renfermé, le moins pessimiste, le plus heureux, le plus libre d’esprit qu’on pût voir[1] ». Il avait trente-deux ans ; il perdait chaque jour depuis la trentaine, nous le savons par une confession de 1884, « un peu de sa vigueur, un peu de sa confiance, un peu de sa santé » ; l’humanité lui apparaissait de plus en plus sous la forme d’une collection de gredins et de sots, l’univers comme un mauvais lieu d’où l’on a hâte de s’évader. Cette philosophie chagrine ne le prédisposait guère à comprendre l’âme bretonne et surtout à goûter son « charme », si comprendre ce n’était déjà sympathiser. Et le fait est que, connaissant l’auteur, je n’étais pas, avant d’ouvrir son journal de route, sans appréhender quelque terrible malentendu. Quelle impression ce Normand réaliste et désenchanté avait-il rapportée de son raid pédestre à travers la fabuleuse contrée que José-Maria de Hérédia, dans une lettre qu’il m’adressait peu de temps avant sa mort, appelait « la dernière terre héroïque et légendaire » ? Trop

  1. Cf. Gustave Chatel : Maupassant peint par lui-même (Revue Bleue du 11 juillet 1896).