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grand prélart de toile grise qui le drapait comme un suaire. Les matelots procédaient à sa toilette de campagne, astiquaient les cuivres, ciraient le plancher, et, tandis que, du quai, mes yeux suivaient distraitement la manœuvre de l’équipage, je récitai, comme on scande un psaume mortuaire, ce passage d’un des derniers livres du grand écrivain où il raconte l’appareillage du petit yawl par un soir semblable, un soir étoilé d’avril :

« Le Bel-Ami était prêt à partir. Je descendis dans le salon qu’éclairaient les deux bougies suspendues et balancées comme des boussoles au pied des canapés qui servent de lits, la nuit venue. J’endossai le veston de mer en peau de bête ; je me coiffai d’une chaude casquette, puis je remontai sur le pont. Déjà les amarres du poste avaient été larguées et les deux hommes, halant sur la chaîne, amenaient le yacht à pic sur son ancre. Puis ils hissèrent la grande voile, qui s’éleva lentement avec une plainte monotone des poulies et de la mâture. Elle montait, large et pâle dans la nuit, cachant le ciel et les astres, agitée déjà par le souffle du vent. Maintenant les hommes embarquaient l’ancre : je pris la barre, et le bateau, pareil à un grand fantôme, glissa sur l’eau tranquille. Pour sortir du port, il nous fallait louvoyer. Nous allions d’un quai à l’autre, doucement, traînant notre canot court et rond qui nous suivait comme un petit à peine sorti de l’œuf suit un cygne… »