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que tu en as tissé suffit et je veux en faire ton linceul.

— Oh ! messire, quel langage ! Il est constant que ces quatre seigneurs que vous m’avez envoyés m’ont fait dissiper bien des heures que j’eusse voulu mieux employer. Mais les pauvres n’y perdront rien, au contraire, et ils auront cet hiver plus de balin que je n’espérais en tisser toute seule pour eux.

— Vraiment ? Je serais curieux de savoir qui le leur tissera ?

— Vos amis. Sans doute il leur a fallu quelque temps pour s’y mettre. Mais ils en ont pris leur parti à la longue et M. de Belz, nommément, se montre un balinier hors de pair. Nos gens en ont déjà fait un proverbe :

Ar c’hoent euz an incardeuret
A zo bet e Kerian savet[1].

— Madame, dit René, je n’ai pas l’esprit tourné aux charades en ce moment. Cessez donc ce jeu, s’il vous plaît : les gentilshommes ne portent pas quenouille, mais épée.

— Oui, seigneur, quand ils en sont dignes, comme vous. Mais les larrons d’honneur qui, sous le couvert de l’amitié, se glissent au foyer du mari absent et paient son hospitalité d’une trahison, ces gentilshommes-là sont bons tout au plus à faire des fileurs ou des cardeurs d’étoupe. Ç’a été

  1. « Le premier des baliniers, c’est à Kerjean qu’il fut élevé. »