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principal en se levant de table à son tour… En tout cas, Madame Lefur a raison : le souci de notre dignité ne nous permet pas de rester une seconde de plus dans cette maison. Adieu, Monsieur… Je rentre au Collège adresser mon rapport sur cette scandaleuse affaire à M. l’Inspecteur d’Académie… C’est lui qui prononcera en dernier ressort.

La malheureuse Hortense, pour cacher sa honte, s’était réfugiée dans la cuisine. Effondrée sur une chaise entre les mains de Jacqueline, elle n’eut pas la force de se traîner aux genoux des Lefur et de les conjurer de reprendre leur place à table.

Peut-être aussi pressentait-elle l’inutilité de toute tentative de ce genre. Les membres dispersés de l’oie gisaient encore dans les assiettes et dans le plat ; Prosper lui-même n’avait pas eu le temps d’attaquer la cuisse déposée devant lui. Il vint à l’idée d’Hortense de rassembler tous ces morceaux et de les faire porter aux Lefur par Jacqueline : cette restitution atténuerait peut-être leur juste indignation… Elle rentra dans la salle dévastée par le départ de ses hôtes. Hélas ! Prosper, à peine remis de son alerte, n’avait pu résister aux sollicitations de sa gloutonnerie ; sur les ruines de son honneur universitaire, comme Marius sur les ruines de Carthage, il ne pleurait pas : il bâfrait. Et la moitié d’une bouteille de chambertin lui avait déjà rendu son habituelle sérénité philosophique. La fourchette au poing, sur l’air de la Mère Godichon, il chantait :