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la Principale sentit renaître complètement son appétit.

Il fallut la surprise du jars rôti, en qui Madame Prosper avait mis toutes ses complaisances, pour rompre l’enchantement et la rendre à ses idées noires. Portée à deux bras par Jacqueline, l’énorme bête bombait, sur un grand plat ovale de faïence en terre de Quimper, son dôme de chair parfumée. Les douces flammes d’un feu de bois, savamment réglé par Madame Prosper, l’avaient revêtue de ces riches colorations qui semblent dérobées à la palette des soleils couchants ; sa peau était un brocard d’or et de pourpre. Ingénument elle s’étalait, le ventre en l’air, comme s’offrant encore aux caresses du divin Héphaïstos. Et, de toutes parts, sa graisse éclatait, ruisselait en flots d’ambre autour d’elle, cependant qu’aux béantes cavités de son abdomen les marrons scintillaient sourdement, telles des pépites dans leurs gangues…

Prosper, les yeux sur le plat, ne put retenir un clappement de langue connaisseur. Mais Hortense, qui avait les siens sur Madame Lefur et qui guettait une approbation, fut douloureusement frappée par la contraction des traits de son invitée. M. Lefur lui-même avait poussé un soupir. Innocents bourreaux de leurs hôtes, les Prosper ignoraient combien ce malencontreux jars ravivait en leur âme de souvenirs lancinants…

— Voilà, songeait Madame Lefur, comme eût été mon oie !… Elle avait ces cuisses, semblables