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reuse poignée de main ; Prosper embouqua la rue des Capucins ; M. Lefur remonta son perron en marmonnant dans sa barbiche : « Pas trop tôt vraiment ! »

— Pan ! dit Bobinet. Ça y est ! Prosper l’a invité à manger son oie, — l’oie de Madame Lefur…

L’oie de Madame Lefur ! Ces mots furent un trait de lumière pour nous. Nous savions que Madame Lefur, chaque année, à Noël, servait à ses invités, comme plat de résistance, une dinde rôtie aux marrons. Elle n’avait point la peine le plus souvent de l’acheter au marché et il se trouvait presque toujours, aux approches de la Toussaint, parmi les parents des « pétras », quelque généreuse ménagère pour lui épargner ce souci. Mais, cette année-là justement, une épidémie s’était abattue sur les phasianidés, et Madame Lefur, un moment désemparée, dut s’estimer heureuse de pouvoir remplacer par une oie sa dinde noëlesque. L’oie lui avait été offerte par une fermière de Kerguignou, la veuve Manégol, dont le petit-fils, Déodat-Victorin, était pensionnaire de cinquième au collège, et ledit petit-fils, tout fier de son importance et de la tape amicale dont l’avait honoré sur la joue Madame la Principale, n’avait pas manqué de nous rapporter la scène dans tous ses détails.

— C’est un jars, Madame Lefur, expliquait la bonne femme Manégol en retirant la bête de son panier… Ça ne vaut point un dinde, sans doute, mais j’espère qu’il vous fournira tout de même un