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— Comment ! La basse-cour !… Alors tu te figures que les bernaches sont des oies domestiques ?


— Ah ! mon Dieu, Prosper, qu’est-ce que tu veux qu’elles soient ?

D’un œil stupide, elle contemplait la bête que Prosper avait déposée sur la table et qui présentait toutes les caractéristiques des palmipèdes de même espèce qu’on rencontre dans les basses-cours ou à l’étalage des charcutiers. Mais une longue expérience de la vie conjugale lui avait appris l’inutilité des discussions et, comme elle gardait, d’autre part, une confiance aveugle dans la science de son mari, elle n’osa point lui donner un démenti, même intérieur, et s’en tint à remarquer in petto qu’il n’y avait donc rien qui ressemblât plus aux oies domestiques que les oies sauvages et réciproquement.

Prosper, d’ailleurs, était à peu près équipé. Il ne lui manquait plus que son chapeau, un vieux haut-de-forme crasseux et « cabossé » qui datait de son mariage et qu’en souvenir du couvre-chef de Mercure il appelait son pétase, parce que les bords en affectaient vaguement la forme d’ailerons… Objet des attentions constantes de Madame Prosper, ce pétase avait essuyé des fortunes singulières et cruelles et, pour si rarement qu’il vit le jour, aux trois ou quatre occasions solennelles de l’année où Prosper l’arborait sur sa tête, il était rare qu’il rentrât intact au logis : quand il n’avait pas roulé dans la boue, quelqu’un