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fiance en vos talents culinaires. Pour qu’ils puissent se donner pleine carrière en l’occurrence, j’ajoute de ma main ce petit écu… Mais n’oubliez pas les marrons, je vous prie, ni davantage la saucisse pour la farce. Je me charge personnellement du liquide, qui n’est point l’affaire des femmes… Eh bien ! Madame Prosper, qu’avez-vous et pourquoi me regardez-vous de cet air éberlué ?

— Tu veux manger cette bête-là à toi tout seul ? murmura Hortense en joignant les mains.

— Eh ! oui, à moi tout seul… c’est-à-dire… enfin, tu en auras ta part, bien entendu, et je ne suis pas homme à te marchander un petit bout de carcasse ou une moitié de pilon.

— Prosper, tu ne feras pas cela ! cria Hortense sur un ton de détresse… Prosper, nous devons un dîner à ton principal… Jamais une occasion pareille ne se représentera de nous acquitter… Je t’en conjure, Prosper, réserve ce jars pour demain soir et vas inviter M. et Madame Lefur.

Les béquilles de Prosper tremblèrent à ses côtés, prélude ordinaire de leur entrée en danse. Évidemment la proposition d’Hortense n’était pas de leur goût. La petite femme s’en rendit compte et, machinalement, rentra les épaules pour recevoir l’averse, mais son courage ne faiblit mie et, désespérant de vaincre à l’aide des arguments ordinaires, elle ne craignit pas de faire appel aux plus basses passions du gouliafre, à son égoïsme et à sa sensualité.