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René, en des conjonctures plus propices, n’eût pas manqué de bénir la mémoire de ce parangon des oncles et de l’associer à la joie de son retour : son oreille eût été doucement caressée en chemin par le chant des jets d’eau dans leurs vasques de granit ; ses jeux se fussent reposés avec délice sur les châtaigniers et les charmes du labyrinthe, sur l’étang, rose encore de l’adieu du soleil, sur la jolie fontaine ionique qui, avec son grand vase à godrons tout rempli de jacinthes et d’iris, le faisait songer aux mythologies champêtres de M. de Ronsard. Et ils se fussent portés de là sur le château lui-même, sur ses campaniles, ses combles et ses lanternons d’un si élégant dessin que c’était à qui les copierait dans la province, sans parvenir à les égaler. Mais, aujourd’hui, rien ne parlait à ses oreilles ni à ses yeux dans ces lieux enchanteurs, René n’était pas plus sensible à leurs beautés qu’à l’effroi de ses vassaux qui, trompés par le crépuscule, s’imaginaient voir un fantôme dans ce cavalier insolite coupant à travers friches sur son cheval blanc d’écume. La nuit était presque tombée quand, ayant franchi au galop le pont-levis de la première enceinte, il s’arrêta devant la poterne et, du pommeau de son épée, frappa trois coups précipités contre le vantail.

Bien qu’il n’eût prononcé aucune parole et que les bâtiments du château fussent assez éloignés, Françoise, qui filait à son rouet, reconnut les coups et dit à sa nourrice :

« C’est mon mari qui frappe ! »