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son désir, il leur donnait les mêmes petits noms d’amitié qu’à Marie-Charlotte. Entre minuit et une heure, battant les murs, claquant les portes, se trompant de palier, dégringolant les marches, recommençant, sacrant, tempêtant, ne trouvant plus sa clé et réveillant de son carillon tous les locataires de l’immeuble, il se décidait enfin à réintégrer le domicile conjugal. Il jetait une béquille par-ci, une béquille par-là, son chapeau dans un coin, ses chaussettes sur la pendule et n’était pas plutôt entre ses draps qu’il y ronflait avec la tranquillité de l’innocence… Au matin, Hortense l’éveillait doucement en lui présentant un grand verre de vin blanc et sa pipe toute bourrée, Prosper avalait le clairet, allumait la pipe et, sa serviette sous le bras se dirigeait vers le collège où il atteignait après deux ou trois haltes au café Roch, chez la veuve Pintur et à la Porte de France qui jalonnaient son chemin.

Cette œnothérapie matinale lui était nécessaire pour le remettre d’aplomb sur ses béquilles et restituer à son cerveau sa belle netteté originelle… Autour de Prosper, en marche vers les hauteurs de la rue des Capucins, coulait le double flot des élèves du collège et de l’école des Frères. Les deux établissements n’étaient séparés que par la largeur de la rue. Plantés presque vis-à-vis, ils se regardaient en chiens de faïence ; une sourde hostilité les hérissait l’un contre l’autre, encore qu’ils n’eussent point la même clientèle, et c’était déjà l’esprit laïque et l’esprit clérical qui préludaient à