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sinon à excuser Prosper, du moins à trouver des atténuations à sa conduite. Ajoutez qu’à Lannion la clientèle scolaire du collège se recrutait presque uniquement dans la petite bourgeoisie libérale. Bobinet était une exception et, si ses parents n’avaient pas eu besoin de lui à l’église du Baly, on l’eût expédié, comme les autres rejetons des familles « bien pensantes », au petit séminaire de Tréguier ou chez les Eudistes de Saint-Brieuc.

Il en résultait que les maisons où pouvait se sustenter le parasitisme impénitent de Prosper n’étaient ni très nombreuses ni très cossues. Et Prosper, enfin, n’aurait su y couler toute sa vie. À certaines heures apéritives, un impérieux besoin ne lui laissait point de cesse qu’il n’eût humecté ses moustaches aux flots verts d’une légère arthémise : ainsi nommait-il, de son nom idyllique et savant, le redoutable pernod que lui versait, au Café du Paon couronné, la main généreuse de Marie-Charlotte Boustouler, une Hébé de 100 kilos passant, à qui les fumées de l’alcool et du tabac, aidées d’un fervent humanisme, prêtaient dans son imagination les grâces et la sveltesse d’une déité virgilienne.

Il y avait eu un temps où les grands yeux bleus de cette Hébé, ses lèvres rouges et bien arquées, son nez un peu court, son teint rose et ses cheveux blonds composaient un ensemble appétissant. Ce temps était loin. À seize ans, la beauté de Marie-Charlotte était déjà dans sa phase levantine et ne connaissait point de ceinture ni de busc capable