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sur leur bonne mine, et Hortense n’avait que trop raison de craindre. Les jours, les semaines, les mois s’étaient écoulés : ni au mardi-gras, ni à Pâques, ni à la Pentecôte, ni à la Saint-Jean d’été, ni à la Saint-Michel, veille des rentrées scolaires, ni davantage pour la Toussaint, suprême étape des fêtes chômées, elle n’était parvenue, malgré ses prodiges d’économie, à ramasser la somme qu’il fallait pour composer un menu présentable et traiter dignement ses invités.

Prosper ne se contentait pas de faire danser au cabaret les écus du gouvernement : Hortense ayant négligé de serrer sous clef deux bouteilles de chambertin et un flacon de rhum qu’elle destinait au dîner du principal, l’abominable pochard les vida un soir, en rentrant. La malheureuse, au matin, devant ces corps sans âme, gisant sur le plancher à côté de son mari, manqua suffoquer. Plusieurs mois lui furent nécessaires pour réparer le désastre. Elle se privait pourtant au point d’avoir réduit son ordinaire à presque rien ; elle ne se nourrissait ou quasi que de soupe au café et, le dimanche, à la messe, arrivait tout exprès en retard, quand toutes les chaises étaient occupées, pour n’avoir pas à dépenser un sou.

Mais le sacrifice qui lui coûta le plus fut celui de son tabac à priser : les vieilles demoiselles Gallet, ses amies, tenancières du débit où elle se fournissait de préférence, furent tout étonnées de ne plus recevoir sa visite. Elles s’inquiétèrent et lui firent porter à domicile sa provision de la semaine.