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l’emporter sur son nom et s’était imposé à Madame Hortense Lespérut elle-même.

La chère dame ne brillait point par la distinction. Presque naine, noire et ratatinée, elle avait longtemps appartenu à la domesticité d’un château voisin ; un legs de ses maîtres et le modeste pécule amassé par elle sou à sou lui avaient fait une petite dot qui avait tenté Prosper. La dot était mangée depuis longtemps. Encore n’était-ce point de cette perte que s’affligeait le plus Hortense, qui demeurait toujours dans l’ébahissement qu’un si savant homme eût daigné l’élever jusqu’à lui. Mais, de ses origines ancillaires, elle avait gardé la passion des fourneaux bien récurés, des belliqueux tournebroches, des casseroles éclatantes et bombées comme des cuirasses d’or. Prosper, malheureusement, ne lui donnait guère l’occasion de conduire au feu cet escadron domestique, et le ménage, accablé de dettes, traînait une existence misérable et précaire ; son chef n’était presque jamais à la maison ; le café, les filles, dévoraient la moitié de son traitement : les arriérés consumaient le reste. Bref, Prosper était ce qu’on appelle à Lannion un foët-boutique, autrement dit un mange-bazar. Il vivait au jour le jour, sans souci du lendemain, et c’est ainsi qu’au moment où commence cette véridique histoire le ménage Lespérut n’était pas encore parvenu, au bout de dix grands mois, à s’acquitter envers M. Lefur, principal du collège, et à lui rendre son dîner de la Noël précédente.