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quelque deux cents de tout âge et de toute taille à qui il faisait brailler en chœur :

Père et la mère Badingue,
À deux sous tout le paquet,
Père et la mère Badingue
Et le petit Badinguet…

Les vitres en tremblaient ; les chevaux des gendarmes, dans leurs boxes, derrière la cloison, piaffaient d’épouvante. Wouvermann donnait le ton sur sa clarinette et c’était tout le solfège qu’il nous apprenait.

La sainte horreur que j’ai conçue dès mon jeune âge pour la musique profane, assurément est-ce à ce gigantesque fils des Vosges que j’en suis redevable. Il domine encore mes souvenirs d’écolier ; c’est à peine si, à travers son épaisse carrure, j’entrevois ses autres collègues : Lozac’h, Marzin, Calvez, Kermadec et le père Limon, professeur de seconde, homme de savoir et de goût, qui tenait l’abbé Delille pour le plus bel esprit et le premier poète français de son siècle ; et le père Boullaouëc, professeur de mathématiques et d’anglais, à qui l’on ne pouvait guère reprocher que de s’étrangler dans ses théorèmes et d’ignorer totalement la langue de Shakespeare ; et ce couple étrange des Roisnel de la Boaxière, épave de l’armorial sombrée dans la bohème universitaire, lui, mince, blond, distingué, alcoolique et poitrinaire ; elle, que le bruit public donnait pour maîtresse au sous-préfet, attirante et distante tout ensemble, perverse et glacée et dont l’énigmatique