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des morveux de notre âge, n’avait aperçu Piphanic ; ce mort vivant, qui sortait de son tombeau sans dire gare et reparaissait tout à coup dans les rues de Lannion après quarante-trois ans d’absence, y faisait proprement l’effet d’un autre Lazare de Béthanie, et peu s’en fallait qu’on ne se signât sur son passage comme sur celui d’un revenant.

Tout le faubourg était sur pied ; les gens s’appelaient d’une maison à l’autre :

— Venez voir ! Piphanic qui est ressuscité ! Piphanic qui vient à la rencontre d’Henri V !

On s’écrasait aux fenêtres et sur le pas des portes.

Le premier moment de stupeur passé, ce fut un feu roulant d’épigrammes et de brocarts : l’équipage du bonhomme, ses gants de soie violette, sa perruque poudrée à frimas, la petite queue qui lui battait dans le dos, le col qui lui montait jusqu’aux oreilles et cet extravagant tromblon en poil de chèvre dont il touchait les bords pour saluer, il n’y avait pas un détail de ce costume qui ne fût texte à plaisanterie…

Indifférent à la risée universelle ou l’interprétant pour l’expression de l’allégresse populaire, Piphanic, sa canne sous le bras, continuait son train de somnambule. Il ne prenait point garde que les hommes et les choses avaient changé autour de lui et peut-être l’eût-on bien étonné si on lui avait dit que, tandis qu’il boudait son temps et s’immobilisait dans le regret du passé, la terre