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À deux heures, en effet, même à une heure et demie, par excès de précaution, nous étions une douzaine de galopins au coin de la vieille et de la nouvelle route de Morlaix : j’avais fait les choses grandement, car Bobinet ne m’avait parlé que de cinq ou six recrues ; mais c’est un aiguillon singulier que l’amour-propre et, pour une fois que Bobinet me déléguait ses pouvoirs, j’entendais ne rien négliger qui pût m’élever dans l’estime de ce beau génie.

Du carrefour où nous étions postés, on dominait toute la ville et un grand morceau de campagne en deçà et par delà. Les rouilles de l’automne tachaient déjà la vallée ; des voiles grises et brunes remontaient la rivière avec le flux, dont la barre rigide glissait comme une règle d’acier sur l’eau douce qui courait à sa rencontre. Des bancs d’écume, pareils à des toisons de brebis, nageaient dans le sillage des barques. L’air n’avait pas un frisson. Le ciel était d’un bleu de lavande fanée, d’un bleu frêle et mourant d’arrière-saison, et, dans ce ciel virgilien, montait, droite et massive, la vieille tour carrée du Baly, veuve de la belle flèche à jour qu’elle avait reçue en 1643 et pour laquelle on n’avait pas employé moins de dix mille ardoises, de dix-huit cents kilos de plomb et de cent cinquante-huit chênes rouvriers provenant des forêts de Landebaëron. Nous ne la quittions pas des yeux. Telle était la limpidité de l’atmosphère que nous aurions pu compter les spires de ses balustres et les gargouilles monstrueuses pointées