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deviner comme vont les choses dans votre Kerjean.

— Ne suffit-il pas que je le sache ? dit René avec un bon sourire. Les yeux du cœur sont perçants. Ils m’assurent que rien n’a changé à Kerjean depuis mon départ et, jusqu’au laneret qui baille sur son perchoir, aux lévriers qui, chaque matin, flairent le vent et se recouchent, tout y est occupé du maître absent et soupire après son retour. Les seules fêtes y sont la prière et le travail et, pour hôtes de qualité, Kerjean n’a plus que les mendiants et les pèlerins…

À cette déclaration ingénue, les rires des muguets redoublèrent et, se détachant de l’embrasure, M. de Belz s’avança vers René et lui dit à brûle-pourpoint :

— Fi, Monsieur, quel discours ! Des gueux, des manchots, des culs-de-jatte, voilà les rivaux que vous vous donnez ! C’est triompher trop aisément. Et je soupçonne maintenant la vérité : vous êtes de ces maris jaloux qui tiennent leurs femmes en chartes privées et se fient beaucoup moins dans leur honneur que dans la solidité des verrous sous lesquels ils les enferment. Le calcul est bon, tant que les verrous résistent. Mais supposez-les cédant et que quelqu’un que je sais pût s’introduire dans la place…

— Moi, par exemple, dit Bruc.

— Ou moi, dit Saint-Phar.

— Ou moi, dit Bombelles.

— Ou votre serviteur, dit Belz : je gage qu’il ne