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de voir son parc coupé en deux et sa perspective gâtée par une vilaine diablesse de route grise qui serpentait encore au-dessus de lui, à cinquante mètres plus haut, le mal n’eût point été trop grand et se fût atténué par l’usage ; mais du jour que la propriété ne fut plus gardée par son isolement, que les massifs disparurent et qu’on eut directement accès sur elle, ce devint pour les polissons de la localité une partie de plaisir d’aller rendre visite aux calvilles du bonhomme et aux espaliers que Job Penanhoat, jardinier de céans, avait dressés tout le long du mur neuf pour lui ôter un peu de sa maussade nudité. Nos oreilles d’enfants n’étaient point si inattentives qu’elles n’eussent recueilli la plupart des bruits qui couraient sur Piphanic, et le mystère dont il avait vécu entouré jusque-là ne faisait qu’aiguiser notre curiosité et nous rendre plus acharnés à la poursuite du malheureux.

C’est de ce moment que commença le martyre de Piphanic. Vainement la vieille Brigitte nous menaçait de son balai et nous criait qu’elle allait nous donner notre péguémen[1] à tous ; vainement son grand échalas de mari nous courait après sur la route ; il ne se passait point de jour où quelque bande de galopins ne fît le siège de la propriété et ne profitât du moment où le pauvre Piphanic prenait le frais sur sa terrasse pour lui corner l’éternelle antienne :

  1. Expression bretonne équivalant à « donner son compte ».