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ration monarchique semblaient si grandes à tous les yeux ! Ni le 2 Décembre, ni l’Empire, ni la proclamation de la troisième République n’avaient ébranlé sa foi robuste dans les revanches de l’histoire et le triomphe définitif de la Maison de France. Sur ses espérances avortées, d’autres poussaient aussitôt, condamnées au même avortement et qui n’en provignaient que plus dru : à quatre-vingt-treize ans sonnés, Piphanic était aussi riche d’illusions qu’à vingt ans. La solitude, qui est mauvaise pour tant d’hommes, n’avait fait qu’entretenir en lui cette fraîcheur et cette vivacité de sentiment qu’il n’eût point tardé à perdre dans le commerce de ses semblables. Sa bonne allait au marché, faisait les provisions et ne causait qu’avec les fournisseurs et pour les questions qui regardaient son service. Une fois seulement elle sortit de son mutisme et on l’entendit qui se plaignait avec acrimonie de l’affront qu’on voulait faire à son maître :

— Monsieur en mourra ! Monsieur en mourra ! allait-elle répétant.

L’affront ! le mot était assez déplacé, semblait-il, et il ne s’agissait en aucune façon de faire échec à l’honneur de Piphanic ; mais le Conseil général du département avait enfin décidé d’ouvrir vers Morlaix une nouvelle route qui remplacerait l’ancienne dont la roideur avait quelque chose d’effrayant. Il fallait pour cela contourner la colline de Kerampont, et le tracé de l’administration prenait en écharpe la propriété de Piphanic.