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marine qu’il braquait sur la tour du Baly et qu’il reposait ensuite sans rien dire, quand il avait compris qu’on s’était moqué de lui et que le drapeau blanc n’avait point encore débusqué le drapeau tricolore du sommet de l’église paroissiale.

Et, tout de même, depuis le temps qu’on lui faisait cette plaisanterie, Piphanic aurait dû finir par éventer le godan. Mais il y avait dans ce petit être racorni et parcheminé une verdeur d’espérance comme je n’en ai vu à personne, tant de simplicité, une foi si candide en la vertu du principe monarchique et, pour dire le mot, un illuminisme si naïf et si incurable qu’il défiait toutes les contradictions et semblait puiser une nouvelle force dans les démentis de l’expérience.

Piphanic passait dans le populaire pour n’avoir plus la raison bien solide et l’on ne s’y privait point de lui donner du maniaque et du vieil olibrius. Les gens de son monde eux-mêmes avaient cessé de le considérer. Comme il était fort âgé en effet — j’ai su depuis qu’il était né en 1780 — la plupart des Lannionnais de sa génération avaient passé de vie à trépas et la légende s’était emparée de lui de son vivant.

On lui prêtait mille extravagances et il se trouvait que personne n’avait d’intérêt à les démentir : les bonapartistes, les républicains et les partisans de la branche cadette le traitaient en ultra et ne lui pardonnaient point sa fidélité à la branche aînée. Cette intransigeance lui aurait dû concilier les sympathies de ses coreligionnaires politiques ;