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d’eau pluviale qui la prenaient pour lit. Les maisons de cette rue s’arrêtaient à mi-côte ; le pavé cessait aussi, et l’on entrait dans la zone bocagère.

À cet endroit justement et presque au tournant de la nouvelle route de Morlaix s’élevait, dans mon enfance, un de ces pavillons suburbains que nos pères appelaient des folies et dont la galante destination se révélait à leur isolement plus encore qu’à l’élégance de leur architecture.

On l’appelait dans le peuple la Folie-Piphanic, du nom de son propriétaire Epiphane Rousselot, lequel y coulait le restant de ses jours dans la compagnie de dame Brigitte et de son mari Job Penanhoat, deux serviteurs éprouvés, presque aussi vieux que leur maître, et qui lui faisaient tout son domestique. Le bonhomme ne sortait jamais et je crois que nous étions les seuls à le connaître autrement que de réputation. Quand je dis nous, je parle des gamins de mon âge, qui, grimpés sur le chaperon de son mur et non satisfaits de grappiller ses calvilles et le chasselas de ses espaliers, s’amusaient à lui crier de toutes leurs forces, dès qu’il paraissait sur sa terrasse :

— Piphanic, Piphanic, Henri V est arrivé !

Nous possédions par cœur notre Piphanic et nous savions d’avance l’effet de cette phrase singulière ; mais c’était toujours avec la même joie malicieuse et perverse que nous voyions le bonhomme tressauter au nom d’Henri V, courir à son observatoire, y décrocher une grosse lunette