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« M. de Sonil, dont les préjugés s’étaient bien émoussés en courant le monde, eût peut-être souhaité un genre de séparation plus moderne et que sa femme l’accompagnât jusqu’à Toulon ou, pour le moins, sur le quai de la gare voisine. Mais il eût craint, en rompant avec l’usage, d’indisposer sa mère, la douairière de Sonil, férue d’antiquailles et dont il avait éprouvé, lors de son mariage, tout l’étroit rigorisme. On ne transige pas encore, à Guérande, sur le chapitre des alliances. Et le fait est qu’officier et gentilhomme, Xavier de Sonil dérogeait doublement en épousant cette petite bourgeoise de Jennie Le Huédé, qui n’avait même pas l’excuse d’être riche. Les parents de Jennie habitaient Batz où ils faisaient le commerce du sel en gros. Déjà bien touchés par la crise de l’industrie salicole et la dépréciation des marais, dont la valeur est tombée en quelques années de 4.000 à 600 francs l’hectare, ces pauvres gens perdirent le reste de leur avoir dans la déconfiture des Raffineries de l’Ouest. M. Le Huédé ne put supporter sa ruine et se pendit ; Madame Le Huédé le suivit de près dans la tombe, et M. de Sonil se trouva fort à point pour offrir à l’orpheline un foyer et un nom. Batz n’est qu’à deux petites lieues de Guérande par terre et la distance est encore abrégée si l’on prend par les bossis ou digues qui coupent en perpendiculaire les étangs marins et sur lesquels il ne serait pas prudent de s’aventurer sans être du pays. Je crois que Xavier et Jennie s’étaient rencontrés plus d’une fois sur ces bossis