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être avait-il ses raisons, après tout, pour en différer l’exécution. De fait, comme nous arrivions devant une grosse tour ronde qui flanquait l’angle du rempart :

— Arrête-toi, me dit Malézieux, et observe cette tour. On l’appelle la Théologale… N’aie pas peur : je ne vais pas te faire un cours d’archéologie… Remarque la petite fenêtre Renaissance percée à gauche, près du rempart. C’est la fenêtre où Madame de Sonil se montra pour la dernière fois à son mari, il y a huit ans, quand il partit pour Takou… Mon histoire débute à la manière des romans de chevalerie et M. de Sonil serait parti pour les Croisades qu’il n’eùt pas pris congé autrement de sa femme… Que veux-tu ? Guérande n’est pas une ville ordinaire. La vie y est arrêtée depuis Jean V et le quarteron de hobereaux qui tiennent garnison dans ses murs ne sont nos contemporains qu’en apparence. Au temps qu’on ne connaissait ni les autos, ni les chemins de fer, ni même les diligences et qu’une seule route carrossable, desservie par la patache du bonhomme Bernus, de balzacienne mémoire, rattachait Guérande à Savenay et au monde civilisé, c’est à cette fenêtre que les châtelaines de Sonil se penchaient pour donner l’adieu à leurs époux et sires. J’imagine qu’elles agitaient un fin mouchoir de batiste aussi longtemps qu’elles les pouvaient distinguer sur la route et se retiraient ensuite dans leur oratoire d’où elles ne sortaient plus que pour les repas, les offices et les enterrements.