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J’eus peine à retenir un mouvement d’humeur, tant la nouvelle me semblait incroyable, et je repartis avec quelque vivacité :

— Voyons, Perrine, vous devez vous tromper. Ce n’est pas possible. Rappelez-vous bien : Marie-Reine Tréal. Le quincaillier n’avait qu’elle d’enfant. Et le quincaillier passait pour un Crésus. Vous sentez bien, Perrine, qu’on ne se fait pas « bonne sœur » quand on est fille unique, riche, jeune et jolie !…

Perrine ne répondit pas sur l’instant. La carriole se lançait dans une longue descente et il fallait tenir la bride haute au bidet ; puis ce fut le coussin qui avait glissé du banc, la bâche qui pendait sur les roues, je ne sais quel détail encore qui parut occuper la commère plus que de raison. J’attendais toujours.

— Est-ce qu’il y a longtemps que vous avez quitté Lannion ? finit par me dire Perrine.

— Il y aura douze ans à la prochaine Saint-Michel, répondis-je, mais, en vérité, Perrine, je ne vois pas bien…

— Oh ! mon Dieu, me dit-elle, il ne faut pas vous fâcher, Monsieur Charles. C’est l’air d’ici qui veut ça. On a tort sans doute : on se méfie peut-être trop des gens des grandes villes. Que vous dirais-je ? Ces endroits-là, bien sûr qu’on n’y devient pas tout à fait païen, quand on a du cœur et qu’on se respecte. Tout de même ce n’est point comme au pays. Nous croyons ici à une foule de choses singulières dont vous êtes bien capables