Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 3, 1910.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Prudhomme semblent s’être disputé ses sympathies. Et il y avait là un curieux conflit d’influences d’où pouvait résulter une personnalité intéressante, mais qui ne s’était pas encore bien nettement manifestée. Ce qui ne lui venait ni de Musset, ni de Sully, c’est son désenchantement, son obsession de la mort, cette sorte de prescience qu’il avait de sa fin prématurée. Plusieurs avant lui, qui, comme lui, devaient mourir sans avoir rempli notre attente, avaient eu cette prescience mystérieuse. Et vraiment, quand on fait le compte de tant de jeunes hommes de promesse disparus avant l’heure, on reste stupéfait devant l’aveuglement du Destin. Pourquoi ceux-là plutôt que tant d’autres, dont la destinée n’importait guère à l’harmonie de l’univers, vagues unités dans le troupeau des inutiles et des sots ou, qui pis est, des malfaiteurs ? Rappelant l’idée chère à Sainte-Beuve d’un temple à élever aux inconnus et aux méconnus, aux poètes qui n’ont pas fleuri, aux amants qui n’ont pas aimé, « à cette élite infinie que ne visitèrent jamais l’occasion, le bonheur ou la gloire », Paul Guigou demandait un jour qu’une place fut faite dans ce temple idéal à l’artiste ignoré qui s’appelait Adolphe Monticelli. Prévoyait-il, à l’heure où il reprenait ce projet du critique des Lundis, que, frappé en pleine jeunesse d’un mal mortel, il ne mériterait lui-même qu’une place dans le temple des inconnus ? Hélas ! il n’y sera point seul. C’est dans ce temple encore qu’il nous faudra ranger tous ces jeunes