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Y contaient les splendeurs des lointaines escales
Et l’ivresse de vivre au milieu des dangers.

L’héroïque frisson des grandes aventures
Pénétrait avec eux sous le paisible toit
Et le vent d’infini qui s’ébroue aux mâtures
Y soufflait, semblait-il, le soir, lorsque leurs voix

Puissamment évoquaient les jours clairs et propices,
Les jours sombres troublés par les typhons brutaux,
Et la vie au soleil de ces pays d’épices
Dont ils gardaient l’odeur aux plis de leurs manteaux.

Leurs paumes ruisselaient des présents des cinq mondes
Mêlant l’ivoire à des tissus étincelants,
À des fleurs de la mer qu’arrachèrent les sondes,
À des galets polis par les trois océans.

La maison les gardait durant quelques semaines…
Et puis, soudainement, comme un secret appel,
Le souvenir du chant d’enivrantes sirènes
Leur rendait le désir des lointains archipels.

Et chaque fois qu’ainsi les errantes voilures
De leurs bateaux montaient sous le ciel du pays.
De savoureux récits parfumés de salure
Enchantaient leurs neveux et leurs parents vieillis,

Jusqu’au jour qui, marqué par les destins néfastes
Pour venger les typhons qu’ils avaient trop bravés,
Mettait un sceau tragique et rouge sur leurs fastes…
Et sur aucun tombeau leur nom n’était gravé…

Ancêtres ! vous battiez les océans sonores.
Ma barque à moi s’oublie en un lac de langueur
Et, bien qu’ayant souffert d’aimer, j’ignore encore
Si j’ai seulement fait tout le tour de mon cœur…

M. Poirier se trouve tout entier dans cette belle pièce : poète, avec ses brillantes qualités de facture, son rythme large, son vers habituellement plein et dru, quelquefois d’un seul jet (l’héroïque