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C’étaient de grands bergers debout dans les ténèbres.
Ils allaient sous les deux, archanges ou démons,
Et leur stature était celle des pins funèbres
Qui hantent le sommeil échevelé des monts.
 
Ils passaient dans la nuit comme dans un vertige
Et leurs deux bras ouvraient un geste illimité
Pour dérober là-haut la face d’un prodige
Au visage inconnu de la Divinité…
 
C’étaient de grands bergers mystérieux et tristes…
Un lourd manteau roulait de leur torse puissant,
Et l’ombre découpait sur un ciel d’améthyste
La haute majesté qu’ils dressaient en passant.
 
Sublimes pèlerins, debout sous les étoiles.
Seuls dans l’immensité du grand désert humain,
Où la nuit sans aurore avait tendu ses toiles,
Où l’on ne voyait plus la trace d’un chemin,

Ils s’en allaient ainsi que des rois sans royaume.
Et le gouffre nocturne, étincelant et bleu.
Sentant passer en lui ces énormes fantômes,
Avait comme un frisson vague et miraculeux…

Il faut lire la pièce dans son entier. Elle fait songer aux Burgraves, à Kaïn… Et tous les poèmes de M. Lemercier n’ont peut-être point cette ampleur ; le souffle, chez lui, n’est pas toujours aussi discipliné ; il y a quelque abus de l’épithète, des fautes de goût çà et là. Et il est vrai que la perfection continue ennuie et que, ces brèves défaillances, l’auteur les rachète par la magnificence de ses images, la fougue de son lyrisme. Un tumulte de Walkyries celtiques emplit par moments le recueil. La chevauchée des strophes passe, en galop fou, sur le fond pâle d’un ciel d’Occident au bord duquel rôdent les fan-