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J’assiste au long combat de tous mes appétits
Dans mon cœur qui voudrait se dédoubler lui-même,
Comme une ruche qui dans la campagne essaime,
Et j’écoute l’enfant aux accents pressentis,

L’enfant aux cris profonds qui de moi voudrait naître :
« Entends mes pleurs, dit-il, dans le jour et la nuit ;
Je veux vivre : j’ai soif et faim du jour qui luit…
Je suis le prisonnier dont on clôt la fenêtre… »

Le poète tressaille à cet appel. Il est près de céder. Mais sa raison intervient à temps qui lui dit

De ne pas enfanter pour le Destin mauvais…

Et c’est la raison qui l’emporte sur l’instinct ; le poète n’infligera pas la vie, suivant le mot terrible de Chateaubriand, à l’enfant qui veut naître de lui. Toute cette fin vaut d’être citée : elle a je ne sais quoi de sombre et de concentré ; on sent que le débat est grave, profond, réfléchi, qu’il n’y a rien là d’un exercice d’école.

Mon enfant qui voudrais venir, je t’aime trop,
Vois-tu, pour te livrer à la vie implacable ;
N’entends-tu pas gémir les vivants qu’elle accable
Et dont le seul espoir est de dormir bientôt ?…

Ne désire donc plus nos combats et nos pleurs,
Nos jours de cauchemar et nos nuits d’amertume ;
Ne viens pas parmi nous dans l’hypocrite brume
Où nous guettent de loin les sanglantes douleurs.
 
Pourtant si mon esprit connaissait la sagesse,
Si la fortune et la santé m’avaient souri,
Peut-être malgré tout qu’à l’appel de ton cri
Je t’aurais fait vivant, ô mon fils de tendresse ;