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atteint maintenant les aisselles. Si l’homme alors avait la présence d’esprit d’étendre les bras en croix, on dit qu’il réussirait à conjurer l’enlisement. Mais l’épouvante le paralyse ou l’incite aux contorsions les plus dangereuses. En réalité, il n’y a qu’un moyen d’échapper à la lise, et il faut l’appliquer tout de suite : c’est de se jeter à plat ventre, pour répartir le poids du corps sur un plus large espace, et de ramper doucement vers les paumelles.

« L’enlisement, a écrit Victor Hugo dans une page célèbre, est un sépulcre qui s’est fait marée et qui monte du fond de la terre vers un vivant. » Nul supplice comparable à celui-là. Il peut durer un quart d’heure, au dire de certains témoins. Jadis, si, de l’abbaye, on apercevait le drame et si la distance et le temps ne permettaient pas de porter secours à l’enlisé, la cloche sonnait le glas et la population était invitée, par une voix tombant des galeries supérieures, à se mettre à genoux et à prier « pour un en danger de périr ». La même voix intervenait quand les volutes cotonneuses du brouillard roulaient vers le mont : armée de crécelles, de tambours, de clairons, la population se portait aussitôt sur les remparts pour fournir un repère aux voyageurs égarés. Tous n’en réchappaient pas : le nombre des victimes ainsi ensevelies par l’effet de la brume ou des lises sous les « sablons du grand champ tombéan », comme s’exprime le chroniqueur Jean de Vitel, atteignait bon an mal an trente ou quarante…