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la culture, à la plus fructueuse des cultures, ces trente ou trente-cinq mille hectares de zones désertiques. Car tout ce pays riverain, d’Avranches à Cancale, comme une bonne moitié de la Hollande et de la Belgique, a été pris sur la mer. Ce n’était jadis qu’une tourbe infecte, crevassée d’étangs salins, où quelques pauvres diables de pétras, minés par les privations et la fièvre, cherchaient un maigre gagne-pain dans l’exploitation des souches mortes, bourbans ou canaillons, enfouies sous les eaux. On trouve encore de ces souches, çà et là, quand la herse pénètre à certaines profondeurs. Le long séjour quelles ont fait dans la tourbe semble avoir changé leur substance ; au contact de l’air leur bois se durcit, prend une très grande pesanteur spécifique. Tels de ces végétaux ont encore leurs fruits. Dans les lits inférieurs, on a trouvé des débris d’animaux préhistoriques, des bois de cerfs, avec leurs andouillers, une tête d’auroch.

C’est qu’en effet la mer, ici, recouvre une forêt — non point la fabuleuse forêt de Scisei dont l’abbé Manet fait remonter la submersion à l’an de grâce 709. Le prétendu raz de marée qui aurait ravagé à cette date le littoral normando-breton est de l’invention du brave abbé, victime, comme l’a très bien montré La Borderie, d’une fausse interprétation d’un texte du VIIIe siècle : Apparitio S. Michaëlis in monte Tumba. Maintenant à quelle époque la forêt disparut-elle ? M. Charles Epry pense qu’elle existait encore par-