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publiques ou domestiques ; à Lesnevon, il a quelques années, quand la municipalité décida de donner un bal pour l’inauguration de la nouvelle mairie, ce fut presque un scandale. Alors que, dans le reste de la Bretagne, il n’y a pas de bon « pardon » sans gavotte et sans ménétrier, ici les fêtes religieuses sont religieuses jusqu’au bout. Vainement vous prêteriez l’oreille pour surprendre la nasillarde mélopée d’un de ces bardes gyrovagues qui colportent d’assemblée en assemblée, dans la Cornouaille et le Trégor, leur répertoire de gwerz et de sônes deux liards la feuille[1]. Langoureuse, sentimentale, la sône est un poison pour les âmes ; le seul gwerz autorisé, comme au temps de l’ermite Goulven, est le cantique, la biographie rimée du patron de la paroisse ou le récit édifiant des miracles dus à son intervention. Et il y a une autre raison peut-être, toute géographique, à ce puritanisme des Léonards du Kéménet-Ili : l’isolement où ils ont vécu jusqu’à ces dernières années. De grandes friches rases, des tourbières et des landes, que cerne, à l’horizon, la lisière vaporeuse d’une chênaie centenaire, les séparaient du reste du monde. Entre Trémaouézan et Ploudaniel, le train file droit au milieu d’un paysage d’une mélancolie oppressante, plat et nu jusqu’aux confins du cercle visuel, sans une maison, sans un arbre, hanté par les échassiers et les corbeaux. On se croirait dans le Born. Mais brusquement, au détour de la voie, un clocher s’élance entre les chênes, un de ces « clochers à jour » de la chanson qui semblent

  1. Cf. l’Âme bretonne, 1re série. Chap. : Au cœur de la race.