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qui y tient garnison, n’ont été déflorées. Une atmosphère de spiritualité mélancolique continue de les envelopper. Sur certaines, comme Sein, pèse toujours l’appréhension de l’au-delà. Le bag-noz, la Barque des Âmes, fend toujours le Raz au crépuscule. Dans les eaux d’Ouessant vit un peuple étrange de morgans et de morganes, humanité sous-marine dont le sang, dit-on, se mêla plus d’une fois à celui des îliens. C’est le pays des femmes-cygnes et des évêques de la mer. C’est aussi le séjour de prédilection des lutins et des korrigans, qu’à Bréhat on appelle des follikeds. Chaque maison jadis avait son follik et tous n’ont point disparu. Lors des fêtes de 1890, on nous montra un matin, à Luzel et à moi, dans une prairie avoisinant le Rosédo, un « rond de follikeds », un grand rond blanc qui semblait avoir été tracé la veille par le trépignement de mille petits pieds. « Tu peux croire à Jésus tout en habitant chez les Elfes », dit une ballade islandaise. La mythologie druidique, le paganisme latin et le christianisme font de même bon ménage dans ces îles bretonnes. Les dieux n’y meurent jamais tout entiers. Les religions s’y sont superposées sans se détruire et quelquefois, comme dans les strates sédimentaires, en se compénétrant. Mais n’est-ce point là un trait de caractère commun à toute la race bretonne ? L’admirable plasticité de cette race fait qu’elle a conservé plus longtemps qu’aucune autre l’empreinte des civilisations disparues : c’est la raison de la longue résistance qu’elle opposa aux idées modernes et qui semble à la veille de prendre fin. Il n’est pas impossible que la Bretagne devienne quelque jour la