Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LE BIEN DU PÊCHEUR




À Auguste Dupouy.


Oui, ce matin, sur le viaduc d’Auteuil, j’ai bien cru l’entendre, le respirer, ce vent du large, âpre et grisant, chargé de sel, de sable, d’effluves iodés, qui n’est pareil à aucun autre vent.

Il avait dû se tromper de route, embouquer par mégarde le couloir de la Seine, glisser sous les arches des ponts, et c’était lui, le pirate, qui donnait l’assaut à la grande ville. Les passants raffermissaient leurs chapeaux ; les femmes serraient leurs jupes. Tous pestaient contre le malappris. Le vent est anonyme dans Paris et, qu’il souffle du midi ou du septentrion, ce n’est jamais que le vent, un maraud, un gêneur, un trouble-fête. On ne lui demande pas son état-civil ; on ne fraye pas avec lui ; on se hâte dès qu’il commence à prendre sa grosse voix…

Moi, je m’étais arrêté ; à son odeur plus encore qu’à sa fanfare, j’avais reconnu le terrible « roi de la mer ». S’il fait le diable à quatre ici, pensais-je, que doit-ce être là-bas, sur cette pointe de Bretagne, étrave aux trois quarts submergée du vieux continent ? Combien de barques seront à la côte ce soir ? Filets perdus, casiers démolis, palangres en dérive, heureux le pêcheur qui en sera quitte pour ces menues avaries ! Aux