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plus douloureux des anachronismes ? Mais il ne se passe point de semaine dans le pays de Tréguier qu’on ne croise une personne atteinte d’un mal inexplicable et dont on vous dit : « Elle a été vouée à saint Yves-de-Vérité. » Et il arrive en effet que la suggestion opère, que l’esprit de la personne vouée s’affecte et qu’elle meurt au terme indiqué. Jusqu’en 1882 cependant, la réputation du pèlerinage nocturne à saint Yves-de-Vérité n’était point sortie du petit cercle des traditionnistes[1], quand éclata la dramatique affaire d’Hengoat. Les époux G…, un couple sinistre, pourri de superstition et d’alcool, portaient une haine implacable à leur frère Philippe Omnès ; ils l’accusaient de s’être fait payer deux fois une dette de 150 francs. Après avoir tout mis en œuvre pour se débarrasser du malheureux, les G… recoururent à une « pèlerine par procuration », nommée Catherine Le Corre, âgée de 76 ans et vaguement suspecte de sorcellerie.

— Il faut, lui dit la femme G., que tu ailles trouver saint Yves-de-Vérité. Sa chapelle a été démolie, mais tu n’auras pas de peine à dénicher la statue du saint dans le coin de l’église de Trédarzec où on l’a reléguée. Tu feras l’adjuration comme à l’ordinaire et tu auras cinq francs pour ta commission.

La groac’h partit au crépuscule. Mais l’église était vide : à la suite d’un dernier scandale (son sacristain

  1. Fréminville avait dit quelques mots de la chapelle dans ses Antiquités des Côtes-du-Nord ; Renan y fait aussi allusion dans ses Souvenirs d’enfance. Notre-Dame de la Haine dont parlent Souvestre, Brizeux et beaucoup d’autres n’a jamais existé : il dut y avoir confusion avec saint Yves-de-Vérité.