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mêmes formules mystérieuses dont les sombres Étrusques adjuraient leurs génies infernaux. Le sanctuaire a pu être rasé jusqu’en ses fondements, la statue du terrible saint transportée dans l’église paroissiale, puis reléguée dans un grenier et enfin brocantée à un marchand d’antiquailles : les pèlerinages nocturnes à saint Yves-de-Vérité n’en continuent pas moins comme devant. Au lieu de faire l’adjuration dans la chapelle du saint, on la fait sur l’emplacement de sa chapelle. C’est tout le profit obtenu. Et quelle adjuration ! Il s’agit de prendre l’ancien avocat des pauvres, le doux et pacifique Ervoan Hélouri, pour arbitre entre soi-même et la personne dont on veut se débarrasser. Le pèlerinage doit s’accomplir à pied et de nuit. Il faut s’être muni au préalable d’un jeton spécial (généralement une ancienne monnaie portant l’empreinte d’une croix). Arrivé sur l’emplacement du sanctuaire, le pèlerin s’agenouille, lance trois fois à terre le jeton et dit :

— Tu es le saint chéri de la vérité : je te voue un tel. Si le droit est pour lui, condamne-moi ; mais, si le droit est pour moi, fais qu’il meure dans les délais rigoureusement impartis.

Ces délais sont de neuf mois. La sacrilège cérémonie s’achève par trois pater et trois ave qu’on récite à rebours et en tournant trois fois à reculons autour du sanctuaire. Il ne reste plus qu’à faire ramasser par la personne vouée (goestled) le jeton dont on s’est servi et qu’on placera insidieusement sur sa route.

Qu’une si détestable pratique soit encore vivante en Bretagne à l’aube du XXe siècle, n’est-ce point le