Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

non peut-être sans quelque manière, çà et là, et des subtilités où perce un peu du théologien. Mais ce qui n’est en propre que chez le P. Albert, c’est un enthousiasme, une ferveur de patriotisme absolument inconnus jusqu’à lui. « Son livre, dit avec beaucoup de raison Guillaume Le Jean, est le poème de la colonisation bretonne depuis le premier Conan jusqu’au dernier des Salomon, depuis l’aube de l’invasion kimrique jusqu’à la sanglante nuit de l’éruption dano-normande. » Un poème, oui, mais avec tout le vaporeux, les lointains, l’au-delà qui manquent à nos sèches épopées françaises. Ce petit moine armoricain, tout échauffé et vibrant des prouesses qu’il vient de revivre en compagnie des Frœcan, des Grallon et des Judicaël, se baigne avec délices dans « le clair-obscur de la légende ». Il n’est jamais si à l’aise que dans le merveilleux : ce lui est une Jouvence dont il sort comme spiritualisé, dégagé des lois de la pesanteur, affranchi de toutes les contingences qui pèsent si durement sur nos pauvres natures mortelles. Son style même, pour embarrassé qu’il soit de conjonctions et d’incidentes, y gagne tout à coup une transparence de tissu admirable : il semble qu’on voie l’âme du bon moine au travers. Mais qui le connaît hors des marches de Bretagne ? Et, tout de même, je pense qu’on n’a point assez rendu justice, en France, à des qualités si éminentes et qui auraient mérité qu’on s’y arrêtât. Comme écrivain, Albert Le Grand m’apparaît à mi-chemin, dans la littérature du XVIIe siècle, entre l’auteur de l’Introduction à la vie dévote et celui de l’Explication des maximes des Saints ; Breton,