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mêmes aujourd’hui qu’au XVIe siècle[1]. Le breton s’est seulement corrompu au contact du français ; la fleur de l’idiome s’est perdue, comme le joli teint des paysannes dans l’air vicié des grandes villes.

C’est un fait remarquable cependant que cet accord spontané, sur les questions de langue et de littérature, des fractions les plus diverses de l’opinion bretonne. Il apparaît bien qu’à leurs yeux à toutes frapper un peuple dans sa langue, c’est le frapper dans ses libertés les plus essentielles, couper de vive force toutes ses communications avec le passé. « Comment nos morts nous entendraient-ils, me disait naïvement un cultivateur, si nous les invoquons dans une langue qu’ils ne parlaient pas ? » Confiance, bonnes gens ! Vos morts continueront à vous entendre. Ils ont dû tressaillir d’aise, quand des fils dévoués, honteux du discrédit qui pesait sur leur mère, allèrent chercher dans les salles d’auberge où elle traînait sa lamentable vieillesse l’auguste, la sainte tragédie bretonne, et l’amenèrent par la main, rajeunie, purifiée, plus belle que jamais, au grand jour de la place publique. L’Idée Bretonne n’est pas née à Ploujean. Mais, si elle avait jeté des racines en bien des âmes, c’est là qu’elle s’est épanouie magiquement, triomphalement, dans je ne sais quelle irrésistible poussée de sève collective. Aucun de ceux qui collaborèrent

  1. Il suffit de consulter les cartes : du promontoire de Porz-Lazo au nord jusqu’à l’embouchure de la Vilaine au sud, la Frontière de la langue celtique suit une ligne oblique et tortueuse par Chatelaudren, Loudéac, Pontivy et Elven.