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sexe fort. Cet arrêt de 1753 est intéressant à d’autre titres. Il nous apprend que les représentations de mystères bretons ou, comme on disait, de tragédie bretonnes, avaient surtout lieu à cette époque dans les villes et bourgades de l’évéché de Saint-Brieuc. Les acteurs n’étaient pas des citadins, mais des « jeunes gens de la campagne. » L’arrêt parle de « quarante ou cinquante enfants de famille s’attroupant et abandonnant pendant un temps assez considérable leurs devoirs et les travaux de la maison paternelle pour se mettre en état de jouer leurs rôles ». Les représentations duraient effectivement deux et trois jours. Vainement une ordonnance du 7 novembre 1714 les avait une première fois suspendues « dans la ville de Guingamp » ; une autre ordonnance, en date de 1732, portait « deffence de jouer à Lannion ny dans aucun des faubours d’ycelle la Conversion de saint Guillaume » : ces représentations en langue bretonne répondaient à un besoin si profond que le peuple y accourait de plusieurs lieues à la ronde.

Sur toutes les routes de Bretagne, dans la nuit qui précédait la première « journée », c’était, sous les étoiles, un exode singulier, le fiévreux défilé de paroisses entières qu’un vent sacré, une irrésistible et magnétique haleine, semblait chasser vers la ville des quatre aires de l’horizon. Un mot d’ordre fixant la date et le lieu du rendez-vous circulait de foire en foire longtemps à l’avance, et, colporté dans les veillées d’hiver par les pillawers et les mendiants, faisait en quelques semaines, à la muette, le tour du pays, pénétrait subrepticement dans les chaumières les