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d’heures passées à la besogne le jour de Noël, autant d’années que l’on passera en purgatoire. Il y a bien d’autres dictons encore sur Noël qui nous reviendront en mémoire au cours de cette extraordinaire veillée. Chacun cite le sien. Il semble que les langues les plus retenues d’habitude se délient comme par enchantement : disrevellers, marvaillers[1] font assaut d’éloquence. Les beaux contes qui se content céans ! Tel qui, les autres soirs, se bouchait les oreilles de frayeur pour ne pas entendre une « histoire de revenant » les ouvre toutes grandes à Noël. C’est que, ce soir-là, toute âme est naturellement assurée contre la peur. Dans cette Bretagne, où flotte une impalpable poussière d’ossements et où l’air même qu’on respire a comme un goût de cendre, la croyance générale est qu’on ne voit jamais de spontaiou[2] pendant la nuit de Noël : le Bugel-Noz[3], les Paotred-ar-Sabbat[4], les lavandières de nuit, l’Ankou[5] lui-même, cessent de vaguer par les routes : il n’y a que Dieu et les saints dehors. Même assurance pour les animaux qui dorment dans l’étable, bien gardés, certes, puisqu’on dit qu’un chérubin les abrite de ses ailes. Ils ne songent point que le râtelier est vide. Le jeûne

  1. Le disreveller est le conteur de légendes merveilleuses ; le marvailler de récits humoristiques.
  2. Esprits d’épouvante.
  3. Littéralement : l’enfant de nuit, monstre particulièrement redouté qui attire les passants attardés et trompés par ses vagissements lamentables.
  4. Littéralement garçons du sabbat, sortes de lutins.
  5. Personnification de la mort.