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racle de leur coéducation : Minous apprit à lire sans pénétrer le sens de ce qu’il lisait ; pour l’écriture, ce fut longtemps peine perdue. Il finit tout de même, à force de patience et d’entêtement, par savoir former quelques jambages. Ses « envois » en témoignent et qu’il ne tenait pas à peu de prix cette difficile victoire. Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’au début et quand il embrassa la profession de barde il lui fallut, pour se rappeler ses strophes, emprunter aux boulangers le procédé mnémotechnique dont ils se servaient, dans mon enfance, pour se rappeler le nombre de pains qu’ils avaient fournis à crédit. À chaque strophe composée par lui, il taillait une coche dans un bâton. La précaution n’était point inutile. Ses chansons étaient interminables et, à mesure qu’il les dictait au prote, il suivait du doigt sur sa baguette, ne lâchant une coche que quand il avait fini de dicter une strophe. Si, la chanson dictée, il restait de surcroît une entaille ou deux, c’est que sa mémoire l’avait trahi ; il la reprenait mentalement et n’avait point de peine à retrouver les strophes égarées. J’ai vu ainsi tel de ces bâtons, qu’il jetait ensuite et qui ne portait pas moins de 118 incisions. Yann-ar-Minous avait l’inspiration facile, trop facile même ; l’œstre poétique lui faisait perdre toute mesure : son Débat entre Jean et François, qui compte trente couplets de quatre vers chacun, ne lui avait pas coûté plus d’une heure de travail. C’était une façon d’improvisateur (diskaner) et qui avait les défauts avec les qualités du genre.

Riche, il ne l’était point sans doute. Non que la clientèle lui fît défaut ou qu’il boudât la clientèle : si