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mes pères, et c’est le seul héritage qu’ils m’aient transmis.

L’histoire du batelier d’Habasque est l’histoire de la plupart des gentilshommes-laboureurs au commencement du XIXe siècle : les manoirs de ces pauvres gens passèrent, sous la Révolution, à des tenanciers de leur entourage qui les prirent en ferme des bourgeois de la ville, grands acquéreurs de biens nationaux. Par son chef, procureur-syndic de la commune, la famille H., qui ne songeait pas encore à la particule, en acquit de la sorte une quinzaine dans le seul arrondissement de Lannion. Vraie déchéance, pire que la ruine, pour ces vieilles pierres sans prétention, de style rude, mais que blasonnait du moins l’écu d’un gentilhomme ! Leur histoire était close si, par accoutumance, respect du passé, les paysans qui les avaient prises en ferme n’y avaient religieusement maintenu les traditions établies par leurs premiers maîtres. De nos jours encore, ce sont les vrais foyers de la vie bretonne. La girouette du toit est tombée, le porche s’effondre ; mais, le soir venu, à l’intérieur de la vaste salle qui sert de cuisine, de réfectoire et d’atelier, vous retrouverez, comme au temps du bon Noël du Fail, qui écrivait en 1535, le maître du logis, le penn-ti, calé dans son grand fauteuil de chêne et « teillant du chanvre ou racoutrant ses bottes », sa femme en face de lui qui file au rouet, « le reste de la famille ouvrant chacun en son office, les uns adoubant les courroies de leurs fléaux, les autres brûlant harts pour lier l’aixeul[1] de la charrette ou faisant une

  1. Essieu