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est ou se croit si bien de la famille qu’il intervient spontanément si on ne l’a pas appelé. C’est ainsi que Belle-Isle-en-Terre garde le souvenir d’un redoutable vieillard, brusque, colère, fantasque, au demeurant le meilleur homme du monde, qui s’était institué le commissaire de police de sa paroisse. Lorsqu’une dispute éclatait dans un ménage, l’abbé Le Roux (c’était son nom) accourait avec sa matraque et en besognait jusque-là que mari et femme implorassent comme une faveur de se raccommoder. « La danse était-elle trop bruyante ou se prolongeait-elle trop avant dans la nuit, dit Benjamin Jollivet, il surgissait tout d’un coup au milieu des danseurs qu’il apostrophait et houspillait de si belle manière qu’on les voyait fuir de tous côtés comme chats qu’on échaude. Il appelait cela distribuer des bouquets et les bouquets de l’abbé Le Roux étaient plus redoutés encore que son bâton. »

Il lui arriva, un jour, et avec un visiteur de marque, une aventure que je ne crois point très connue et qui peint admirablement la bonhomie naïve de ces vieux desservants de campagne. L’abbé, qui avait quelque peu chouanné dans sa jeunesse et qui s’en ressentait dans son automne, réclamait depuis longtemps un vicaire. Il avait écrit directement au roi Louis-Philippe, mais sa lettre était demeurée dans les cartons. Comme il se disposait à en écrire une seconde, on vint lui dire que le prince de Joinville, qui arrivait de Brest, s’était arrêté à Belle-Isle pour déjeuner. L’abbé ne prend point le temps de changer de soutane. Il court à l’hôtel ; il ne se fait point annoncer ; il ne